Les moyens de transport au 18e siècle

Henri Sée
Extraits de La France Économique et Sociale au XVIIIe siècle, 1925

Les progrès du commerce ont devancé et déterminé les progrès de l’industrie. Or, on observe, au XVIIIsiècle, un développement remarquable du commerce, intérieur et surtout extérieur.


Turgotine [source : Leon Roumagnac]
Les voies de communication. — Les diverses régions de la France tendent à sortir de leur isolement ; on sent le besoin de relations plus actives, de communications moins rudimentaires.

Le réseau des routes se développe sensiblement, surtout dans la seconde moitié du siècle. Deux créations très importantes contribuent à ces progrès : la fondation de l’école des ingénieurs des ponts et chaussées, en 1747, et l’organisation du corps des ingénieurs (entre 1750 et 1754). Le budget des Ponts et Chaussées s’accroît sensiblement aussi, s’élevant, vers la fin de l’ancien régime, à 7 millions de livres : il ne sert d’ailleurs qu’aux travaux d’art et au traitement du personnel, car les travaux de construction et d’entretien des routes se font au moyen de la corvée des grands chemins. En 1788, on comptait 12 000 lieues de routes construites et 12 000 lieues de routes tracées ou en construction. Les grandes routes, les routes royales, larges de 12 à 20 mètres, rayonnent, en général, de Paris vers les extrémités du royaume, conséquence naturelle de la centralisation. Le tracé du réseau routier ressemble par sa configuration au réseau de nos chemins de fer : Paris-Strasbourg, Paris-Lyon-Marseille, Paris-Brest, Paris-Toulouse, Paris-Lille, voilà les routes essentielles. D’Est en Ouest, elles sont beaucoup moins nombreuses. Il est visible qu’en exécutant ce réseau routier, on s’est préoccupé encore plus des intérêts stratégiques que des intérêts commerciaux ; en Bretagne, c’est au début de la guerre de Sept ans que le duc d’Aiguillon, obéissant à des préoccupations militaires, pousse activement la construction des grands chemins, ce qui mécontente fort les États de la province.



N’oublions pas, d’ailleurs, que ces routes étaient souvent en assez mauvais état ; l’empierrement, auquel devait pourvoir le travail de la corvée, était très défectueux ; cependant, vers la fin de l’ancien régime, on voit se réaliser de notables améliorations, dont témoignent des voyageurs comme Arthur Young. Mais partout en France les chemins de traverse étaient impraticables.

La navigation intérieure était encore plus importante pour le commerce que les routes. C’est surtout après 1770 que l’État se préoccupa activement de la navigation, la considéra comme un service public, reprit les projets abandonnés après Colbert. Et encore s’agit-il moins de la navigabilité des rivières, plutôt en régression, gênée par les moulins et les péages, que de la construction de canaux. C’est surtout dans le Nord que le travail fit le plus de progrès (tout un réseau fut achevé) ; on ne fit que commencer les travaux du canal du Centre, du canal de Bourgogne, du canal du Rhône au Rhin. Un mémoire des « entrepreneurs de la voiture du sel pour la grande gabelle », de 1785, déclarait, non sans exagération, qu’à cause de tous les obstacles qui entravaient la navigation, la « voiture » des marchandises par voie d’eau était encore plus coûteuse que par voie de terre.

Les moyens de transport. — Malgré des progrès réels, ils apparaissent encore comme très imparfaits. Ce sont les messageries, affermées à des traitants jusqu’en 1775, qui sont chargées du transport des voyageurs. Les voitures publiques sont encore peu confortables, surtout les fourgons et les carrosses ; les diligences sont mieux aménagées ; quant aux chaises de poste, elles sont plus rapides, mais fort chères. Sur les rivières, les coches d’eau n’ont, en général, que trois départs par mois et leurs voyages sont interminables (il faut 18 à 20 jours pour aller de Paris à Rouen). Sur les routes, les diligences ne font que deux lieues par heure, les carrosses, huit à dix lieues par jour. Turgot établit partout, il est vrai, des diligences. Mais les départs restent toujours rares (un ou deux par semaine, en Bretagne). Puis, les lignes transversales sont peu nombreuses. Les prix sont très élevés (13 sous et 7 sous par lieue dans les diligences).

Arrivée à la cours de la Messagerie, à Paris, sous l'Empire
[source : napoleon1er.org]

































Considérons maintenant la durée des voyages. Dans les soixante premières années du XVIIIsiècle, elle est encore assez longue. Il y a, à cet égard, un progrès assez notable à la fin de l’ancien régime. Il est dû, en partie, aux efforts de Turgot, qui essaya d’améliorer le service des diligences et messageries, en le détachant du bail des postes et en le concédant, en régie, à un directeur concessionnaire. La réforme, il est vrai, fut éphémère ; éphémère aussi la vogue des nouvelles voitures, appelées turgotines. Cependant, à partir de 1776, les voyages par diligences deviennent plus rapides : de Paris à Lyon, on ne met guère plus que 5 jours (on en mettait 10 au XVIIsiècle) ; à Bordeaux, 6 ; à Lille, 3 (au XVIIe, 4) ; à Marseille, 11. Les chaises de poste sont plus rapides, mais pour en user il faut être vraiment riche.

Berline de transport de voyageurs, 1775. Elle est nommée « turgotine » d’après Turgot,
ministre des finances et surintendant général des Postes [source : alsace.revues.org].

On comprend que le service de la poste soit très défectueux, surtout d’une ville de province à une autre. Il y a, en effet, très peu de lignes transversales : de Lyon à Bordeaux, les lettres passent par Paris et ne parviennent qu’au bout de huit jours ; de Rennes à Granville, il en faut sept.

Vue du port de Rochefort par Joseph Vernet
































Notons encore que, pour la première fois, en 1783, furent créés des paquebots royaux entre la métropole et les Antilles ; réservés aux passagers, aux lettres, aux objets précieux, ils partaient une fois par mois pour les « îles d’Amérique », soit du Havre, soit de Bordeaux, huit fois par an du Havre, pour les États-Unis, quatre fois pour Bourbon et l’Île-de-France. C’était là une grande innovation.

On peut donc conclure qu’au XVIIIsiècle, il y eut un sérieux progrès des voies de communication et des transports. Mais, à considérer la révolution qui s’opérera à ce point de vue au siècle suivant, on voit qu’en trente ans (de 1840 à 1870), la transformation sera infiniment plus grande que celle qui s’est accomplie au cours des trois siècles précédents.


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